à forces
... au lieu que l'idée se précise peu à peu il me semble au contraire, qu'elle est extrêmement précise dès le départ. Précise comme peut l'être une idée, c'est-à-dire pas comme une forme, mais comme une force exerçant une pression. L'élargissement du poème, Jean-Christophe Bailly
« En art, ne s'agit pas d'inventer des formes mais de capter des forces. C'est même par là qu'aucun art n'est figuratif. » Gilles Deleuze dans Francis Bacon logique de la sensation, Edit. De la Différence, 1981
À FORCES
Les oeuvres présentées dans cette exposition prolongent sous de nouvelles formes des questions récurrentes dans mon travail. Comme, par exemple, la mise en évidence par la recherche scientifique qu'une force est imperceptible et qu'elle participe systématiquement aux mécanismes du vivant. Ce concept, étudié en science physique, résulte de l'interaction d'un objet sur un autre. Il a la capacité de combiner dans un même outil des phénomènes variés comme la tension, la pression, le frottement, le mouvement, ou des interactions à distance comme la force gravitationnelle, la force électrostatique ou la force électromagnétique qui nous permet de percevoir les couleurs. Mon vocabulaire plastique consiste à tenter de m'approcher d'un espace de coïncidences entre la connaissance, l'intuition et l'expérience. Ce qui nous force à penser sur nos expériences quotidiennes, c'est le rapport que nous entretenons entre notre corps, ses gestes et les multiples influences de la technique sur nos sensations et nos émotions.
Tournés coulés, flaques, 2016
Le cercle apparaît dans mes oeuvres sous la forme de perforations dans des matériaux, des revues ou des collages. Mais depuis quelques années, ce motif est également présent dans une série de dessins que je réalise sur un plateau circulaire en bois, qui tourne, à l'aide d'un moteur, à une vitesse variable. Pour chaque dessin réalisé sur ce support, il s'agit de conserver ce processus en tant que partie de l'oeuvre achevée, donc de préciser le rôle des matériaux et des outils nécessaires à la réalisation. Pour mes quatre plus récents dessins j'ai mis en place un dispositif gestuel simple et répétitif, dont la fonction est de garder une trace sur le papier de la force centrifuge résultant de la vitesse et du mouvement du plateau circulaire, en relation avec la quantité de couleur déposée. C'est un combat contre et avec la pesanteur, qui concerne presque tous les arts plastiques. Mais résister et jouer avec la pesanteur, c'est aussi travailler quotidiennement en soi avec un point sensible qui réunit les forces du corps pour le maintenir vertical.
Dans ces aquarelles, la gravité, combinée avec la liquidité du médium, permet de rendre visible le processus qui s'articule étroitement avec une forme déterminée au préalable. L'ensemble des couleurs obtenues par la superposition des couches viennent des trois couleurs primaires, mélangées à une certaine quantité d'eau, qui diminue au fur et à mesure que je pose les petites flaques colorées sur la surface du papier. J'enclenche alors la rotation du support jusqu'à sa vitesse maximale. C'est pendant ces quelques fractions de secondes, que la flaque, subissant la propulsion de la force centrifuge, se déforme, se désintègre et laisse, sur la surface du papier, la trace de son parcours.
Tournés coulés, gouttes, 2016
Pour réaliser ces deux dessins avec des gouttes, le dispositif du travail est le même, mais le processus est différent. Une fois que le papier est accroché au plateau, le moteur est mis en marche à la vitesse maximale. La réalisation du dessin ne se fait plus par flaques déposées, mais par gouttes lâchées au-dessus d'une aire du papier qui accompagne le bord du plateau. Plus les gouttes tombent près du centre du support moins elles se déforment. Plus elles tombent près du bord, là où la vitesse est maximale, plus elles s'allongent et deviennent des lignes. La réalisation du dessin s'effectue sans qu'aucun outil, ni la main aient un contact avec le support.
Tracés FORCES, 2016
Tracé CORDES, 2016
Le cordeau à tracer se présente sous la forme d'une cordelette enroulée sur elle-même et entourée d'un boîtier hermétique rempli de craie colorée. Un crochet métallique, noué à une extrémité, sert à dévider la cordelette. Une petite manivelle sur le boîtier permet ensuite de l'enrouler après usage. Utilisé sur les chantier de construction, cet outil sert à faire des marquages rectilignes provisoires. On tend fermement la cordelette imprégnée de poudre entre deux points, on la soulève avec l'index et le pouce et on lâche : le son CLAC ! accompagne le dépôt de poudre sur le support.
J'utilise ce dispositif pour faire apparaître, dans le dessin, des mots pris dans une superpositions de lignes et de grains de poudre bleue. Des tangentes traversent la surface du support et longent les bords de chaque lettre. Sur les arrondis, chaque tangente touche un seul point. Les mots apparaissent comme suspendus. Ils évoquent un moment du processus par lequel des forces sont enclenchées. Ils ouvrent notre pensée à des relations entre le domaine du temps par la vitesse de la trace et le son de son dépôt ou le domaine de la matière, comme par exemple théorie des cordes, conçue pour tenter de comprendre le fonctionnement et les propriétés fondamentales de notre univers à l'échelle de l'infiniment petit.
Postures, 2016
La posture est l'élaboration et le maintien de la configuration des différents segments du corps dans l'espace. Elle exprime la manière dont l'organisme affronte les stimulations du monde extérieur et se prépare à y réagir. Nous utilisons nos mains pour des usages multiples qui ne cessent de se transformer en relation avec l'évolution de la technique. Le doigt est en passe de remplacer la main.
La tension entre les gants et les hameçons tire la représentation de la main vers des postures de doigts qui évoquent les ombres chinoises, des signes d'un langage muet ou des gestes autrement cryptés, érotiques, sociétaux ou obscènes.
J'ai choisi ces gants parce que le coulage indusriel du caoutchouc sur le tissu permet de travailler la tension du matériau sans diminuer ses capacité d'élasticité. La présence des hameçons souligne un état provisoire et figé des postures, reliées les unes aux autres dans la tension d'un dispositif de capture.
Cube3, 2016
La couleur est la perception visuelle de la répartition spectrale de la lumière. J'utilise habituellement le polycarbonate translucide pour l'articuler avec un espace architectural et jouer avec ses capacités de réfracter la lumière et les couleurs d'un contexte. Dans la conception de cette sculpture, c'est la première fois que j'utilise ce matériau pour sa coloration industrielle, introduite dans la masse du matériau, lors de sa fabrication. C'est un cube tapissé de cubes, collés les uns aux autres sur les six faces. La redondance du motif sur lui-même, me permet d'utiliser toutes les couleurs actuellement disponibles dans la réalisation industrielle de ce matériau et d'évoquer, par la superposition du motif, ce que nous savons actuellement de la constitution de toute matière, faite de « briques » et de vibrations énergétiques imperceptibles.
La masse trouée et extrêmement légère du matériau, révèle, selon différents points de vue, soit l'apparence d'un volume diaphane dans lequel la superposition des couleurs crée un moirage, soit l'opacité d'un cube dont l'épaisseur colorée est difficile à évaluer parce qu'elle change visuellement au fur et à mesure que l'on se déplace autour de lui.
Le bruit des yeux, 2017
Un monochrome rond et gris en mouvement, dont la lente rotation provoque d'imperceptibles mouvements et bruits continus : les yeux des visages de poupées s'ouvrent et se referment. On pense à la matérialité de la céramique, à un recouvrement du corps par le gris d'une cendre, on pense à la mort et à l'étonnante force de la vie qui revient, qui résiste.
Pas de points fixe, 2017
Cinq objets ont été perforés : un marteau, un rouleau à pâtisserie, un fusil à l'échelle d'un jouet, un niveau et un hachoir. Ce sont uniquement les parties en bois qui ont été perforées. Par la suite, chaque objet a été peint avec un motif linéaire, un striage noir et blanc qui enveloppe l'ensemble de ses volumes et surfaces. On reconnaît encore ces objet, mais leur apparence s'est transformée à tel point que leur dimension utilitaire passe au second plan pour privilégier visuellement la forme d'une structure qui déclenche visuellement des vibrations. Ils se donnent à voir comme des dentelles si fragiles, qu'à peine préhensibles, comme des dessins matérialisés en trois dimensions. Le traitement de perforation et la manière de répartir la peinture noire et blanche a pour but de brouiller la vision de l'image de l'objet pour privilégier la perception d'une vibration de cette image superposée au support qui l'entoure. Cette vibration semble, comme une ombre, accompagner nos mouvements.
Tournés coulés, flaques, 2016
aquarelle, trois couleurs primaires
diamètre 163 cmTournés coulés, flaques, 2016
encre de chine
diamètre 163 cmTournés coulés, gouttes, 2016
aquarelle, acrylique trois couleurs primaires
diamètre 163 cmTournés coulés, gouttes, 2016
aquarelle, noir acrylique
diamètre 163 cmTracés FORCES, 2016
cordeau à tracer, craie bleuTracé CORDES, 2016
cordeau à tracer, craie bleuPostures, 2016
latex coulé sur coton coloré
dimensions variablesCube3, 2016
polycarbonate et plexiglas
52 cm x 52 cm x 52 cmLe bruit des yeux, 2017
visages de poupées aux yeux mobiles, peinture acrylique, moteur électrique
diamètre : 160 cmPas de points fixe, 2017
Pas de points fixe, 2017
Pas de points fixe, 2017
Pas de points fixe, 2017
Pas de points fixe, 2017